Qu’est-ce que le « sauvage » ?

Pour commencer, «sauvage» vient du latin «silvaticus», de «silva», «forêt». J’aime ce lien étymologique, on y perçoit que l’Homme considère depuis longtemps la forêt comme symbole du sauvage.

Le sauvage est une notion très complexe de part ses nombreux niveaux de lecture et l’infinie quantité de domaines qu’elle embrasse. Le sauvage est quelque chose de difficile à saisir, c’est un bon point de départ.

De manière générale, j’associe étroitement «sauvage» et «nature». Et ce qui me vient en premier ce sont ces mots de François Terrasson dans son livre «La peur de la nature» (un incontournable) :

« La Nature, c’est ce qui existe en dehors de toute action de la part de l’Homme. » et « La nature se définit chez tous les peuples du monde comme ce qui fonctionne en dehors de notre volonté et de notre intervention. » Il y cite aussi Marc Giraud : « Par définition la nature (y compris notre nature intérieure), c’est tout ce qui est libre, spontané, non maitrisé. »

Le sauvage est donc ce qui n’est pas domestiqué, ce qui échappe au contrôle de l’humain. C’est l’état naturel, ce qui suit le cours de la nature, étranger à la civilisation et à la culture. C’est un certain état de pureté originelle, qui échappe au contrôle et à la volonté d’une conscience humaine. Une pureté brute en quelque sorte. Le sauvage n’obéit à aucun règlement édicté par la société humaine, il ne suit que les lois de la nature.

Quand on parle de sauvage il y a presque toujours la notion de liberté qui émerge. Je trouve ce raccourci à prendre avec des pincettes. Qu’est-ce que la liberté ? Le chêne est-il libre d’aller se promener ? Le loup est-il libre quand il doit chasser pour se nourrir ? Le cerf est-il libre quand il doit rester sur le qui-vive pour ne pas être mangé ? L’aigle est-il libre quand il doit inlassablement aller chercher de la nourriture pour ses petits et veiller sur eux ?

La liberté est très relative. Une définition classique de la liberté est de n’être soumis à aucun maître. Mais quelque part il y a toujours quelque chose qui nous gouverne, nous contraint, nous soumet à son pouvoir, son autorité. Ce quelque chose, ce maître, on peut l’appeler «Nature», et elle a ses lois, implacables. Dit autrement, tout élément évoluant nécessairement en relation avec son environnement, il y a une dépendance de chaque chose et de chaque être avec le monde qui l’entoure et avec sa qualité propre. La liberté pourrait alors être perçue comme ce qui n’est soumis qu’aux seules lois de la nature. Et ce n’est pas une mince affaire.

Sauvage résonne aussi avec «ressenti», «écoute des sens», «instinct naturel», «émotions», «animalité». Ces choses qui nous dépassent, qui échappe à notre raison, même si on a parfois développé des parades et des cuirasses. C’est le sauvage en nous, quand notre corps prend les commandes. Il faut juste être attentif à bien faire la différence avec nos réflexes conditionnés inconscients ou nos auto-persuasions, nous sommes souvent les premiers à nous domestiquer et à nous faire croire des choses sur nous-même. Et c’est d’autant plus difficile à faire la part des choses. Retrouver le sauvage en soi est bien plus un chemin de désapprentissage que de compétences à acquérir.

Une question de fond se pose. L’humain peut-il vraiment s’extraire des lois de la nature ? La domestication ne fait-elle pas partie de la nature ? La nature s’arrête-elle vraiment là ou commence la culture ? Je trouve important de ne pas opposer «nature» et «humain», la frontière est bien trop poreuse, pour autant qu’il y en ai une. Car Tout est nature.

N’oublions pas que le sauvage est partout. Même dans un champs de blé en monoculture industrielle, c’est une part sauvage de la nature qui fait qu’une graine germe et qu’une plante pousse. Ce n’est pas le génie humain qui a créé la graine et tous les processus biologique qui la pousse à devenir plante.

Pour conclure je dirais, en reprenant les mots de François Terrasson et «de tous les peuples du monde», mais en préférant le terme de «sauvage» à celui de «nature», que le sauvage est ce qui échappe à la volonté de l’Homme, que ce soit en nous ou en dehors de nous.

Et dans tout cela, gardons à l’esprit que le sauvage, qui peut être vu comme un idéal, par moi le premier, n’est qu’une dimension de la vie. Au-delà de toutes ces distinctions et de tous ces neurones qui s’agitent, ce qui importe profondément c’est l’équilibre et l’harmonie du vivant, et pour œuvrer à cela, le sauvage et la culture sont bien plus puissants quand ils peuvent marcher main dans la main. Alors reconnectons-nous avec la nature.